Pour les agriculteurs et agricultrices installés aujourd’hui en bio, l’horizon du futur reste une ligne particulièrement angoissante. La profession est durement confrontée aux aléas météorologiques de plus en plus marqués, au manque de reconnaissance sociale, à l’instabilité politique, au manque de visibilité financière, sans parler de la volatilité des marchés et des consommateurs. Il en va de même pour les entreprises de transformation et les distributeurs de produits biologiques. Comment garder son énergie et sa motivation dans ce contexte « d’incertitude radicale » ?
La question est essentielle. En effet, l’anxiété devant l’incertitude du futur (ou « éco-anxiété » pour simplifier) est plus qu’une émotion. C’est un phénomène individuel et collectif qui mine de l’intérieur la transition écologique ainsi que le précieux tissage du lien social, à toutes les échelles de nos territoires. Face à cela, il n’existe pas de baguette magique. Mais le regard des neurosciences peut nous aider à sortir de ce mécanisme destructeur.
Que se passe-t-il dans notre corps avec « l’éco-anxiété » ?
Une menace omniprésente est perçue par notre cerveau, à juste titre, comme un danger pour notre sécurité. Ne pouvant pas fuir, le corps développe des émotions saines de défense, comme la colère. Mais lorsque ces émotions ne sont pas entendues (par la société, nos proches, le gouvernement…), le sentiment de menace perçue augmente. En dernier recours, le corps va réagir par un état dit « de figement ». C’est une réponse physiologique de survie dont on n’a pas toujours conscience. Exposée 24 heures sur 24 à l’incertitude radicale menaçante, notre psyché se trouve en prise avec des processus de dérégulation du système nerveux. Biologiquement, nos ressources et notre niveau d’énergie s’effondrent. Le cerveau rationnel tourne en boucles d’anxiété inopérantes. Nous perdons notre créativité, notre imagination, nos capacités relationnelles... Il nous devient difficile de travailler en collectif. Progressivement, le découragement et l’impuissance deviennent chroniques, et notre santé en pâtit.
Cette boucle de l’éco-anxiété n’est pas une fatalité !
Il est important d’entendre que notre système nerveux autonome possède aussi les ressources pour sortir de cet état. Il peut devenir notre meilleur allier ! Spontanément nous pouvons sentir ce qui remet en mouvement notre système intérieur. Par exemple : des contacts humains chaleureux au quotidien, un toucher bienveillant, le contact avec les animaux ou la nature, le rire, une activité physique ajustée. Ce sont des gestes simples. Mais lorsqu’ils s’inscrivent en conscience dans le quotidien, avec une attention bienveillante portée sur l’état de notre système nerveux, nous développons une capacité d’éco-résilience accrue. Comprendre ces mécanismes et les voir à l’œuvre agit déjà sur notre cerveau limbique. Le figement se desserre…
Comment se manifeste l’éco-résilience ?
Innée chez certaines personnes, cette compétence humaine et professionnelle peut se cultiver et se transmettre. Elle est essentielle pour tous les projets de Transition. Individuellement, nous pouvons ressentir des émotions difficiles ou être en contact avec l’incertitude, tout en préservant nos ressources cognitives, émotionnelles et relationnelles. Certes, le contexte n’a pas changé, mais notre système nerveux est capable de rester régulé. Depuis cet état, nous pouvons contribuer à co-réguler ceux qui nous entourent. Nous apprenons à créer des environnements de travail et d’équipe plus soutenants, plus sécures, plus créatifs et plus fertiles. Collectivement nous devenons plus forts. La motivation de chacun augmente à nouveau, la confiance en l’avenir change, comme on changerait de paire de lunettes. Il devient possible de reconcevoir les modes de production agricole, et le monde dans lequel nous voulons vivre.
Rédaction : Lara Mang-Joubert, facilitatrice, thérapeute et formatrice
Article du magazine la Luciole édité par la Fédération Régionale d’Agriculture Biologique en Auvergne-Rhône-Alpes (FRAB AURA).